La perception de l’environnement

Coupe de la tête d’un dauphin Tursiopstruncatus (d’après Genin, 1992)

Les cétacés sont dotés de nombreuses spécialisations sensorielles pour détecter et interpréter les variations du milieu marin. En leur qualité de prédateurs supérieurs, ils ont perfectionné les sens les plus utiles à leur milieu de vie aquatique tout en perdant une bonne partie de l’acuité de sens qui ne leur apportaient aucun avantage dans ce même environnement.

L’olfaction

Les cétacés paraissent avoir perdu leurs facultés à percevoir les odeurs. Le nerf olfactif et les bulbes olfactifs du cerveau ont disparu, tout comme les cellules chimio-réceptrices des muqueuses nasales de l’évent.

Les odontocètes qui se nourrissent de proies n’ayant aucune odeur n’ont plus d’odorat, la muqueuse olfactive et le nerf olfactif ont disparus. A titre de comparaison, les mysticètes ont conservé leur épithélium olfactif. Cela pourrait s’expliquer par le fait que les bancs de plancton dégagent une odeur perceptible en surface.

Le goût

A la base de la langue, les dauphins adultes présentent des structures en creux et en bourgeons qui sont probablement des papilles gustatives riches en cellules chimio-réceptrices. La langue va leur permettre de récolter des informations sur le milieu ambiant, mais elle peut jouer un rôle dans le comportement social.

Il semblerait que les cétacés soient capables de détecter les 4 qualités gustatives primaires que sont le salé, l’amer, le sucré et l’acide. Mais ils sont également capables de détecter la présence de composés chimiques libérés par des organismes vivants comme des proies ou d’autres congénères. Les phéromones (messagers chimiques) permettraient ainsi aux cétacés de connaître l’état de réceptivité sexuelle de leurs congénères, l’urine pourrait même contenir des phéromones d’alarme. On a, par exemple, observé des bélugas fuir une zone où d’autres membres de leur espèce avaient précédemment été tués par des chasseurs.

Le toucher

La peau des cétacés est pourvue de terminaisons nerveuses. Les animaux réagissent immédiatement au toucher. Nombre d’entre eux semblent adorer se faire gratter ou brosser. Certaines zones semblent plus sensibles que d’autres : autour de l’évent, des yeux, du rostre, de la mâchoire inférieure et du melon.

Les récepteurs situés à l’avant de la tête peuvent assister le cétacé lors de la chasse et de la capture des proies.

Mais le toucher est surtout très important dans les échanges sociaux. Selon l’endroit sollicité et sa vigueur, un contact peut signifier l’affiliation ou indiquer une agression ou la colère. Les dauphins ont une prédilection pour les caresses, et pas seulement à des fins de procréation. Les attouchements font partie intégrante du quotidien.

La vue

En raisonde leurs capacités exceptionnelles dans les domaines de l’audition et de l’écholocalisation, on a longtemps pensé que la vue des grands dauphins n’était pas particulièrement développée.

Pourtant, les numéros réalisés par les cétacés en captivité prouvent le contraire. L’orque doit avoir une très bonne vue pour s’élever hors de l’eau de plusieurs mètres et saisir délicatement, au centimètre près le poisson dépassant de la bouche du dresseur!

L’œil des cétacés n’est pas fondamentalement différent de celui des mammifères terrestres. Il est relativement petit : celui d’un rorqual commun de 18 m est gros comme une orange. S’il était proportionnel au nôtre, il aurait la taille d’un ballon de basket ! Les yeux sont mobiles et les paupières peuvent s’ouvrir et se fermer.

Les cétacés ne possèdent pas de glande lacrymale, ils ne peuvent donc pas pleurer. En revanche, des glandes sécrètent un liquide épais et huileux qui recouvre en permanence la surface de l’œil pour la protéger du sel et des autres agents corrosifs de l’eau de mer.

L’iris est capable de s’ouvrir très largement pour capter la faible lumière sous-marine.
Le cristallin est quasi-sphérique et ressemble à celui des poissons.
La rétine est composée de nombreuses cellules en bâtonnets très sensibles à la lumière donc bien adaptées au milieu. En revanche, elle possède peu de cellules en cônes qui sont les cellules associées à la vision des couleurs. Les cétacés sont donc probablement daltoniens.

Les cétacés, grâce à ces capacités, localisent visuellement des proies agiles. Sur des plages où reposent des populations de lions de mer par exemple, les orques s’attaquent systématiquement aux bébés. Elles sont donc capables de faire la différence entre un adulte et un petit. Or, elles sont totalement silencieuses durant ces attaques. Elles doivent donc repérer leurs proies non pas par écholocalisation mais grâce à leur vision.

La vision joue également certainement un rôle chez les cétacés qui vivent en groupe : les changements de position d’un des membres du troupeau peuvent être facilement perçus par les autres et les déplacements du groupe synchronisés rapidement. La vue permet donc de maintenir le contact.

Crédit photo : GECC

Le grand dauphin voit aussi bien sous l’eau que dans l’air. Il n’est pas rare, en effet, de voir les cétacés se tenir verticalement dans l’eau, la tête sortie en position d’espionnage. Cela signifie qu’ils sont capables de corriger la variation de l’indice de réfraction due au changement de milieu. Sans cette correction, ils verraient trouble, comme nous, lorsque nous n’avons pas de masque de plongée.

Dans l’air, la vision du cétacé lui permet d’observer les oiseaux volant de façon localisée qui pourraient indiquer la présence de proies, de repérer les membres de son groupe bondissant dans le lointain. Mais, plus étonnant, les dauphins sont capables de regarder des symboles se succédant rapidement sur un écran de télévision et de réagir à l’apparition de certains. Ce sont donc bien des spécialistes de la vue.

L’ouïe

L’ouïe est le sens le plus développé chez les cétacés et les grands dauphins en particulier. Pour localiser l’origine des sons qui parviennent aux organes auditifs, les deux oreilles doivent être isolées acoustiquement l’une de l’autre et du crâne. Un son capté via les conduits auditifs sera donc perçu avec le décalage indispensable au cerveau pour en situer l’origine.

Les oreilles des cétacés ne sont pas apparentes, même l’orifice est réduit à un trou minuscule afin de préserver l’hydrodynamisme. Ils ont cependant une oreille interne bien constituée et un énorme nerf auditif. Au niveau du cerveau, le centre de l’audition est très étendu.

Le sens magnétique

Certaines études suggèrent que les dauphins posséderaient un sens magnétique leur permettant d’utiliser le champ magnétique terrestre pour s’orienter et naviguer. La recherche sur ce sujet est encore au stade expérimental. La présence de cristaux d’oxyde de fer (magnétite) relevée chez certains dauphins et baleines dans différentes parties de la tête pourrait être un élément en faveur de cette hypothèse. Ces cristaux fourniraient un mécanisme pour la détection des champs magnétiques. Toutefois, des récepteurs sensoriels associés à ces cristaux n’ont pas été encore identifiés.

Notons que des pistages récents de baleines à bosses par satellite au large de l’archipel hawaiien montrent que, au cours de leur migration vers les zones estivales de nourrissage, leur direction n’a pratiquement pas dévié du nord magnétique. Une telle constance ne semble possible que grâce à l’existence d’un sens magnétique.

L’écholocalisation ou l’écholocation

C’est au cours de la seconde guerre mondiale que l’homme a pris conscience de la capacité des cétacés à émettre des ultrasons ; les sonars des pilotes de sous-marins américains étaient constamment perturbés par des émissions ultrasonores qui ne provenaient pas de l’ennemi. Les cétacés étaient lesresponsables de ce phénomène.

Depuis, on parle du« sonar » des cétacés. Les termes scientifiques sont l’écholocalisation ou l’écholocation. Le principe du sonar consiste à sonder l’environnement en émettant des sons particuliers et en analysant les échos de ces sons, renvoyés par les différents corps qui composent le milieu physique.

Il s’agit d’un 6ème sens et son développement n’a rien d’étonnant chez les cétacés lorsque l’on sait que le son voyage mieux sous l’eau que tout autre type de signaux (électromagnétiques, thermiques, chimiques ou lumineux). Des scientifiques ont placé des dauphins aveuglés dans des bassins afin de tester leur capacité à « visualiser » le milieu. Les dauphins étaient capables de retrouver un objet ou d’éviter divers obstacles alors qu’ils avaient les yeux « bandés ». Pendant le trajet, le dauphin émettait des petites séries de sons que l’on pouvait enregistrer sur un sonogramme. Les émissions sonores étaient d’autant plus fréquentes que les obstacles étaient nombreux. Ces tests ont prouvé que les dauphins se dirigeaient par l’écholocalisation. Il s’agit d’une forme de « vision » par le biais d’ondes acoustiques.

Les signaux émis par les cétacés ont une portée de quelques dizaines de mètres pour la discrimination fine à quelques centaines voire des milliers de kilomètres dans les « chenaux acoustiques ». Ces chenaux se forment entre des couches de températures différentes, donc de densités différentes ce qui permet aux infrasons et sons à basses fréquences de les traverser sans s’amortir.

De plus, le pouvoir discriminant des signaux peut être très élevé. Un grand dauphin est ainsi capable de distinguer deux objets de même forme et constitués du même métal, mais de dimensions légèrement différentes (quelques millimètres). Il peut également faire la différence entre une pièce en cuivre et une pièce en aluminium même si leur forme et leur dimension sont identiques.

Enfin, les cétacés sont capables d’apprécier la vitesse relative de l’objet par mesure de la modification du signal émis.

Le sonar est donc bien une remarquable adaptation au milieu marin. Il a contribué au succès des cétacés dans la chasse et ils ne pourraient pas mener une vie de superprédateurs sans lui.

La gamme des fréquences audibles par les cétacés est très large: de 100 000 à 150 000 cycles par secondes environs alors que l’oreille humaine ne perçoit pas les sons de fréquence supérieure à 15 000 cycles par seconde. Ce vaste spectre leur permet de moduler les fréquences des sons émis et de les adapter à la situation. Ainsi, lorsqu’ils explorent leur environnement, le rythme d’émission des clics est assez lent et leur fréquence relativement basse ce qui augmente la portée du sonar et permet à un écho lointain d’être perçu. L’image sonore est de moins bonne qualité, mais les basses fréquences portent plus loin. Quand la cible est repérée, le rythme des émissions augmente ainsi que la fréquence des sons émis. Plus la fréquence est élevée, plus l’image sonore est précise, mais la portée diminue d’autant. Mise à part repérer les proies, certains chercheurs pensent que les clics ultrasonores peuvent être assez violents pour « assommer » les proies. Le cachalot utiliserait cette technique pour attraper des calmars géants.

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