Lorsque l’on étudie une population animale, la première question que l’on se pose est celle-ci :
– « Combien d’animaux dans cette population ? »
Si la réponse est, par exemple :
– « Beaucoup ! »
La question qui suit automatiquement est alors la suivante :
– « Beaucoup c’est combien ? Cent, deux cents, mille ? »
Généralement, la conversation se conclut alors brutalement par ces mots :
– « Euh, aucune idée »…
Ce petit dialogue imaginaire, mais très proche de la réalité, montre à quel point connaître la taille de la population que l’on étudie est une information importante qui donne à la fois un ordre de grandeur et un moyen de comparaison. En effet, pour évaluer l’état de santé d’une population animale il est essentiel de savoir si cette dernière grossit au fil des ans, ou si, au contraire, elle diminue et donne donc des signes de faiblesses ?
On l’aura compris, les questions relatives à la taille d’une population, en apparence toutes simples, sont en réalité d’une grande complexité.
Concrètement, comment faire pour compter les dauphins, ces animaux qui, rappelons-le, bougent tout le temps et passent une grande partie de leur vie sous l’eau ?
Quelle méthode pour compter les dauphins ?
Pour estimer le nombre d’individus au sein d’une population animale, on utilise la méthode dite de Capture-Marquage-Recapture ou CMR.
Cette méthode repose sur le suivi individuel des animaux. Cela signifie que chaque animal de la population est identifié soit
- par des marques artificielles, par exemple les bagues chez les oiseaux,
- par des marques naturelles, comme les zébrures des tigres ou les encoches et griffures des nageoires chez les cétacés.
Le premier marquage – ou la première capture – est suivi d’une ou de plusieurs autres recaptures au cours desquelles les animaux sont retrouvés ou non.
Si on prend l’exemple des grands dauphins de la mer de la Manche, la première capture signifie qu’un individu, c’est-à-dire un grand dauphin, a été photographié une première fois. Au cours des sorties suivantes, on va alors tenter de le photographier à nouveau (recapture) et de l’identifier (pour identifier un dauphin, voir le zoom : Comment fonctionne l’interface d’identification des dauphins IDOL ?)
C’est la succession des informations de présence/absence du grand dauphin à chaque occasion de capture, donc à chaque sortie, qui va constituer « l’histoire de capture » de cet individu.
Ensuite, la méthode de CMR va permettre d’analyser les informations issues de ces « histoires de capture ». A partir du nombre d’animaux marqués et de leur proportion de présence/absence dans les échantillons, il va être possible d’estimer des paramètres démographiques comme la taille de la population et la probabilité de survie des individus qui la composent.
Pour réaliser les estimations de la population des grands dauphins de la mer de la Mance, le GECC a privilégié des modèles adaptés aux populations considérées comme étant des populations fermées (c’est-à-dire sans phénomènes d’immigration, d’émigration pendant la période d’échantillonnage) à l’aide du programme CAPTURE du logiciel MARK.
Les résultats
D’après les calculs d’estimation de population, la population des grands dauphins de la mer de la Manche oscille entre 384 (IC 95% : 348-451) individus en 2009 et 314 (IC 95% : 292-355) en 2013, avec un écart type qui varie entre 4,33 et 11,12.
Ces chiffres, qui ne sont que des estimations, rappelons-le, semblent indiquer que cette population est stable au fil des ans, ce qui est une bonne nouvelle.
A titre de comparaison :
- La population des grands dauphins du nord-est de l’Ecosse a été estimée, en 1999, à 129 individus (IC 95% : 110-174) (Wilson et al., 1999),
- en 2010, la population des grands dauphins de l’estuaire de Shannon a été estimée à 107 individus (IC 95% : 83-131) (Berrow et al., 2012),
- en 2012, la Seawatch Foundation a estimé la population de la baie de Cardigan à 270 individus (IC 95% : 122-175) (Feingold & Evans, 2013),
- enfin, le Circé estime les populations des grands dauphins du golfe de Cadix et du détroit de Gibraltar à 300 individus depuis 2004 (Chico Portillo et al., 2011).
A l’évidence, la population de la mer de la Manche s’apparente par sa taille aux deux populations du sud de l’Espagne.
Pour conclure
Au regard de ces chiffres, les grands dauphins de la mer de la Manche appartiennent à l’une des plus importantes populations de grands dauphins sédentaires étudiées en Europe. Difficile donc de les ignorer, de faire « comme si » ils n’existaient pas et de les traiter en quantité négligeable !
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Pour en savoir plus sur le sujet :
BERROW, S., O’BRIEN, J., GROTH, L., FOLEY, A. & VOIGH, K., 2012. Abundance Estimate of Bottlenose Dolphins (Tursiops truncatus) in the Lower River Shannon candidate Special Area of Conservation, Ireland. Aquatic Mammals, 38(2) : 136-144.
CHICO PORTILLO, C., JIMENEZ TORRES, C., PEREZ, S., VERBORGH, P., GAUFFIER, P., ESTEBAN, R., GIMENEZ, J., SANTOS VEGA, M. E., CAZALLA, E. & DE STEPHANIS, R., 2011. Survival rate, abundance and residency of bottlenose dolphins (Tursiops truncatus) in the Strait of Gibraltar. In 25th Conference of the European Cetacean Society Long-term datasets on marine mammals : learning from the past to manage the future, 21st-23rd March 2011, Cadiz, Spain.
FEINGOLD, D. & EVANS, P., 2013. Bottlenose Dolphin and Harbour Porpoise Monitoring in Cardigan Bay and Pen Llŷn a’r Sarnau Special Areas of Conservation. Interim report, Seawatch Foundation, 86 p.
WILSON, B., HAMMOND, P. S. & THOMPSON, P. M., 1999. Estimating size and assessing trends in a coastal bottlenose dolphin population. Ecological Applications, 9(1) : 288-300.